L'information, noyée au milieu d'un communiqué en apparence anodin, est passée à peu près inaperçue. Il y a quelques semaines, l'Insead y annonçait la nomination de son nouveau doyen, Ilian Mihov - tout en précisant que celui-ci serait désormais basé... à Singapour.
Bien sûr, l’école prenait soin de souligner qu'elle "conserverait sa forte présence en Europe grâce à la nomination d’un doyen adjoint et d'une équipe académique et administrative complète basée (...) en France."
Ainsi donc, le centre de décision d'une des top business schools mondiales quitte son berceau de Fontainebleau pour mettre le cap sur l'Asie.
Institution offshoreCertes, nombre d'observateurs ont beau jeu d'observer que l'Insead est un établissement "à part" dans le paysage hexagonal. Que son modèle est d'ailleurs beaucoup plus américain que français ou européen : accent sur le MBA, usage quasi exclusif de l'anglais, taux très élevé d'étudiants internationaux, majorité écrasante d'enseignants-chercheurs internationaux, culture du fundraising, faible implication dans les débats sur l'enseignement supérieur en France, etc. Bref, que l'Insead est déjà depuis longtemps une institution "offshore", avec un fort penchant vers l'Amérique du Nord et l'Asie (comme en témoignent ses campus à Singapour et Abu Dhabi).
Il n'empêche : l'Insead a vu le jour dans l'Hexagone, elle a été fondée par des Français, son siège "historique" se trouve à Fontainebleau... C'est donc bel et bien un joyau qui prend le large.
Car il ne faut pas se bercer d'illusions. Ce mouvement n'est probablement qu'une première étape. Demain, sans doute, d'autres pas seront franchis. Le siège reste à Fontainebleau : pour combien de temps ? On peut raisonnablement imaginer que, graduellement, le poids de l'Asie va encore se renforcer. Voire que l'institution née à Fontainebleau finira par couper un jour les ponts avec l'Hexagone, si elle n'y trouve plus son compte. Après tout, rien ne le lui interdit.
Nous n'en sommes pas là. Reste que cette décision stratégique confirme, s'il en était besoin, la place croissante de l'Asie non seulement dans la géographie mondiale des affaires, mais aussi, de plus en plus, dans celle de l'enseignement supérieur. Outre l'Insead, rappelons que l'Essec possède déjà un campus à Singapour - elle vient même de décider de s'y développer encore plus - et que l'Edhec y est également implantée.
L'initiative est évidemment à rapprocher d'une autre décision similaire : celle du patron du groupe français Schneider, Jean-Pascal Tricoire, de s'installer à Hong-Kong. Avec quelques-uns de ses principaux cadres dirigeants. Au total, sur les quatorze membres du "comité exécutif" de Schneider, seuls cinq sont basés en Europe, et quatre en Asie.
Elle rappelle aussi que les institutions d'enseignement supérieures, comme les entreprises, ne sont pas ad vitam aeternam liées à un territoire ou à un pays. Elles ont aussi leurs intérêts et leur stratégie propre, qui ne sont pas forcément ceux de la terre qui les a vu naître. Surtout quand celle-ci ne fait pas assez d'efforts pour se rendre attractive. Demain, d'autres aussi peuvent migrer vers d'autres contrées...
Bref, la décision du nouveau dean de l'Insead confirme que l'Europe - et la France en particulier - pèse de moins en moins lourd, et l'Asie de plus en plus. Notamment aux yeux des institutions qui forment les top managers et hauts dirigeants. Ce n'est pas vraiment nouveau. Mais c'est inquiétant.